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Lundi 18 décembre
08h25.
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. 'aveu est sorti. Siànan m'a dit.
Il est venu ce soir avec les mains tremblantes, le cœur au bord des lèvres, un plateau repas factice dans les bras mais le regard déterminé. Il a verrouillé la porte à double tour derrière lui et fermé les battants d'un sortilège puissant. J'ai relevé le nez des papiers qui s'amoncelaient sur mon bureau. Je ne l'avais jamais vu pratiquer la magie auparavant. Il sait que je sais depuis qu'il a lu le carnet. Nous n'en avions pas discuté et l'exacte nature de ses pouvoirs flottait entre nous comme un secret partagé. Les non-dits auraient fini par gangréner si nous n'en avions pas parlé, de toute manière. Mon cœur s'est noué en voyant la lumière gicler hors de ses yeux jusqu'aux portes. Pour la première fois de vingt ans de royauté, je me suis senti privilégié. L'air crépitait si fort que j'en frissonnais.
Lorsque j'ai croisé son regard, j'ai su que la prochaine fois que nous pousserions ces portes, nous serions tous deux différents. Il est entré et nous a enfermés dans un secret que je n'aurais jamais soupçonné.
Ce soir-là, il est entré et a bouleversé mon monde. J'emporterai avec moi dans la tombe l'image de son visage, les reflets mordorés des flammes qui mordaient ses yeux et lui donnaient une allure de guerrier tenant front face à la mort. Je ne l'ai jamais trouvé aussi beau. Mais je ne voulais pas être sa mort. Je voulais être sa victoire.
Il s'est assis auprès du feu. Je l'ai rejoint à pas feutrés. J'avais l'impression que si j'étais trop bruyant, tout pourrait se briser et jamais je ne pourrais retrouver la possibilité d'apprendre ce qu'il allait me dévoiler.
Cette fois-ci, aucun de nous deux n'a pensé à admirer le brasier. Il me fixait de son regard doux, comme si cette soirée était semblable aux autres, comme si l'inquiétude ne transpirait pas de tout son être. Comme s'il n'était pas sur le point de renverser l'univers et de m'éclabousser dans la foulée.
J'ai saisi ses doigts entre les miens. Il a repris son souffle et m'a souri.
Il a sorti de son chandail un livre qu'il m'a tendu de sa main libre. C'était un ouvrage récent, qui ne devait pas avoir plus de vingt ans, au cuir brunâtre et aux dorures orangées. J'ai reconnu le manuscrit au premier coup d'œil. J'en ai une copie dans ma propre bibliothèque et l'Hydre s'était chargé de me rappeler maintes fois l'importance d'entretenir la mémoire de tels évènements. C'était une histoire de la dernière sédition de l'Armée, l'histoire de la construction des dédales et de la trahison de Zaphir. L'histoire de cette tragédie qui avait conduit à la mort du Roi Avorté et de la sorcière qu'il avait aimée.
Siànan savait que me tendre ce livre me ferait comprendre immédiatement ce qu'il essayait de me dire. Fuxan s'était toujours refusé à laisser les copistes marquer la chair du parchemin de son échec. L'histoire écrite n'était pas complète. Le tyran n'avait jamais pu retrouver l'enfant perdu. Zaphir et la sorcière étaient parvenus à sauver l'espoir d'une descendance que l'on disait oubliée en royaume humain, préparant savamment une vengeance qui reverserait l'Hydre. Oh, Fuxan avait cherché. Mobilisé des factions entières de soldats pour traquer celle qu'il nommait « la bâtarde des traîtres », en vain. Personne ne savait rien. Les cadavres n'étaient pas bavards et il se trompait sur beaucoup trop de points.
Avec les années, il était parvenu à convaincre la Cour que cet être perdu n'était qu'une machination de plus de Zaphir pour tenter de déstabiliser sa puissance. Je ne l'ai jamais cru et je crois que lui non plus. Nous savions tous deux que l'enfant qui errait quelque part dans le monde pourrait être notre perdition.
Mais l'enfant perdu ne l'est plus.
L'enfant perdu ne l'a jamais été.
L'enfant perdu n'a jamais quitté l'Armée.
L'enfant perdu m'a trouvé, moi, l'héritier.
Je me suis senti idiot lorsque la compréhension m'est tombée dessus comme la foudre frappe le sol. C'était pourtant évident. Peut-être même qu'une part de moi le savait depuis le jour où il m'a sauvé, depuis ce jour où j'ai senti sa magie pénétrer mon sang. Peut-être que je ne voulais simplement pas contempler les points reliés.
Ses doigts restés dans les miens grelottaient d'appréhension.
L'espace d'un instant, j'ai eu l'impression de pouvoir nous voir tous deux, sur mon tapis près de la cheminée, dans les yeux d'un autre. De le voir lui, fils du traître à la couronne, à genoux face à moi, l'héritier de l'Hydre, mains liées. Oh, dieux, si Fuxan nous avait vus. Si Kaën avait su. Si Wïane savait.
S'il existe un destin, il a un drôle de sens de l'humour.
J'ai éclaté de rire et l'ai tiré contre moi.
Il a comme fondu entre mes bras. Les mots ont éclaté entre nous, au creux de mon oreille, entre les flammes qui virevoltaient à nos côtés. Il m'a tout avoué. Je ne l'ai pas lâché un seul instant. Je peine encore à réaliser que j'ai serré contre moi le plus puissant sorcier de notre royaume. Je sentais son cœur pulser fort contre le mien. Ce battement est autant son souffle que le mien.
Il s'est éloigné de moi. Il y avait des odes de feu dans ses yeux bruns. Je serai toujours impressionné par la capacité qu'a son regard à disserter.
D'une voix rauque, incertaine, il s'est mis à chanter. Ses mots, je peux le jurer, se sont gravés sur mes os. Il m'a livré de la pointe de la langue la clé que mon grand-père aurait tué pour posséder. Il m'a transmis le secret des dédales de la sorcière, le dernier chant de sa mère sur le point d'être exécutée.
Il voulait l'écrire, alors je lui ai donné le carnet.
Il a écrit juste après mes épanchements d'hier, a recopié les vers sous une grande horloge. L'énigme s'illuminait entre les traits. À cet instant, j'ai su que ce secret serait notre victoire. Il venait de me confier le plus grand savoir de l'histoire de notre royaume. Il venait de me révéler la faille des dédales dans lesquels ses parents avaient péri, ce labyrinthe construit pour être la plus grande menace du tyran. Zaphir et Soteira sont morts pour protéger cette énigme et Siànan vient de me donner le pouvoir de vaincre l'Hydre. Il vient de me donner le pouvoir de régner autrement, le pouvoir de renverser l'Armée et de forger sur ses cendres un autre monde.
Il m'a donné le pouvoir de tout changer.
En retour, je lui ai fait le serment de ne jamais utiliser ces dédales maudits, de condamner mes ennemis à la repentance mais jamais à la cruauté.
Les cartes sont tombées. Le jeu peut commencer. L'as est dans notre paquet et le joker évadé en sécurité dans le monde caché. Patience. Nous serons les maîtres.
Notre plan sera parfait, pensé jusqu'à la moindre journée. J'orchestrerai à ses côtés toutes les heures qui nous séparent de la fin de cette ère de peur. Je prétendrai, je jouerai, je simulerai. L'Hydre et ses cavaliers de pique tomberont sur les carreaux. Sa dame chancellera avant la dernière lueur.
Je serai son bourreau.
Et aujourd'hui, pour Siànan, pour ceux qui croient en un monde meilleur, je deviens le Roi de Cœur.