•  

     

    Chapitre 30

     

    Chapitre 30
    Âmes en deuil

     
     
    Résumé du chapitre précédent : Aidé des Reflets de Lune, Black, Mynocia et Tom partent à la poursuite de Wïane qui a enlevé Yael. Hélas, le groupe arrive trop tard : le petit elfe est mort, torturé par l'élémentaire qui a fuit entre-temps pour retrouver son Maître, l'Ombre. Avec l'aide de Nawi, Black réalise que Wïane est aussi responsable des meurtres de Lysia, sa grand mère et Sean, son ancien ami et camarade. Du côté de l'Armée de Feu, Combustor est persuadé que la Primaire vise Black et Mynocia, et ordonne donc à Siànan, son fidèle valet, de retrouver et protéger Ashes avant que Wïane ne la trouve pour la manipuler à son tour. Pendant ce temps, persuadée que Clia peut guérir de la terrible maladie qui la ronge, Mihaje rencontre Phonem, surnommé l'Insaisissable, père de Mynocia, pour lui proposer un marché : il soigne la Reine et en échange, elle lui offre une mystérieuse Pierre d'Éternité ...

     

    Chapitre 30

     

     

     Elle était dans une impasse. Cernée, coincée, purement et simplement.
    Ashes releva les yeux du lac devant lequel elle s'était agenouillée pour se rafraichir. Son reflet dans l'eau verdâtre lui renvoyait l'image d'une femme affaiblie, en cavale depuis trop longtemps, les yeux fatigués et les cheveux en bataille. Elle était bien loin à présent, la terrible guerrière qui se dressait fièrement aux côtés de Combustor.

    Elle était en fuite depuis bientôt un mois et elle se sentait à bout de force, néanmoins incapable de revenir en sachant que Wïane l'attendrait de pied ferme au château.
    La trahison de la Primaire lui avait fait perdre le peu de goût que sa maigre existence pouvait avoir. Longtemps, durant des années même, elle avait considéré l'autre femme comme une amie, une confidente. Découvrir qu'elle n'avait été qu'un jouet, un pantin, un pion de plus sur l'échiquier de l'Ombre l'avait blessée bien plus qu'elle ne pouvait l'admettre.

    Et elle se retrouvait là, seule face à ce lac vaseux, terrifiée à l'idée de rentrer dans le seul endroit où elle se sentait chez elle. Mais elle était indubitablement coincée. Quel choix avait-elle ? Attendre encore, vivre avec les moyens du bord pour un mois de plus ? Wïane finirait par la retrouver, tôt ou tard.
     Ashes se redressa précautionneusement, les jambes tremblantes. Ces dernières semaines n'avaient pas été une partie de plaisir et elle n'était pas une brillante chasseuse. A ce rythme, non seulement elle serait une proie facile pour Wïane, mais en plus sa santé en paierait le prix.
    « ASHES ! »


    La voix résonna dans la clairière et elle sursauta brusquement, dégainant son sabre d'un grand mouvement de bras, prête à faire face. Elle fronça les sourcils en reconnaissant l'homme qui s'approchait d'elle.
    Toujours vêtu de son éternel pull de laine malgré un début de mois de mai tiède, Siànan portait sur ses lèvres un sourire tranquille et détendu.
    La jeune femme baissa son arme.


    Si Siànan était là, réfléchit-elle, cela voulait-il dire que Combustor la cherchait ?
    Son cœur se serra un instant. Son maître ne l'avait pas oubliée, alors ?

     Arrivé à sa hauteur, Siànan la serra brièvement contre lui et elle retint ses larmes de toutes ses forces. Quand exactement avait-elle oublié le fidèle valet ? Pourquoi n'était-elle pas venue se réfugier à ses côtés, lorsque tout avait basculé ?
    « Tu as perdu énormément de poids, s'inquiéta Siànan en détaillant le corps de l'élémentaire, fronçant les sourcils. »


    Ashes ferma les yeux un instant, haussant les épaules.
    « Viens, il faut que je te parle, ordonna doucement l'élémentaire en l'entrainant avec lui dans l'herbe. »
    L'homme restant son supérieur hiérarchique, Ashes obtempéra et s'assit dans la végétation, face à lui. La situation lui rappela sa première entrevue avec Combustor, des années plus tôt, le jour où le souverain l'avait extirpée de ses ténèbres et hissée à ses côtés en tant que générale. Du jour au lendemain, sa vie était passée de douleur et misère à une suite de luxe et une protection complète de l'élémentaire le plus puissant au monde.


    Elle ne méritait pas le pardon. Et au-delà de toute absolution, Siànan et Combustor lui avaient offert l'espoir.

     « Tu t'en doutes, le maître m'envoie, débuta l'élémentaire en la sortant de ses souvenirs, lui et moi nous faisions du souci pour toi, Ashes. »
    Ils échangèrent un sourire. La présence de Siànan semblait si rassurante.


    « Nous savons ce qu'il s'est passé avec Wïane. Elle n'attendait de toutes manières plus que l'entière guérison de Fuxan pour retourner sa veste. Mais nous ne pensions pas qu'elle tenterait quoi que ce soit contre toi, et encore moins de te rallier à l'Ombre. Fuxan et elle sont tenaces : tes parents étaient fidèles à l'Ombre, et nous craignons qu'ils te poursuivent tous deux jusqu'à ce que tu abdiques. »

    Ashes baissa les yeux. Elle ne voulait plus être confrontée à ce Grand Roi, cette Ombre, ce Fuxan qui avait transformé la petite orpheline qu'elle était en une bonne machine de guerre obéissante. Elle n'était plus qu'un tas de cendres lorsque Combustor l'avait prise sous son aile, rebaptisée et ressuscitée.
    « Mais tu n'es pas seule, Ashes, déclara Siànan en plongeant son regard dans le sien. »


    Les yeux noisette étaient si sincères que la jeune femme se sentit perdre le nord. Elle n'aurait jamais imaginé pouvoir à ce point compter sur lui.

    « Tu n'es pas seule et tu ne le seras plus, continua l'homme en saisissant ses doigts entre les siens. J'aimerais que tu gardes ceci sur toi constamment. »
    Elle baissa les yeux. Siànan venait de glisser dans sa main un pendentif de métal en forme de phénix. Elle lui lança un regard mi perplexe, mi interrogateur et il lui sourit.
    « Sa tête. Caresse-là trois fois »


    De plus en plus intriguée, elle obéit, passant son index sur la minuscule tête de fer froide. Aussitôt, l'oiseau de métal s'anima, déploya ses ailes et ouvrit son bec. A l'intérieur du gosier de l'animal brillait une pierre d'un bleu profond, taillée en forme de plume.


    « Au moindre contact entre ta peau et cette pierre, une communication s'établira avec la mienne, expliqua Siànan en agitant une copie presque parfaite du phénix pendant à son cou. Et vice versa. Je veux que tu gardes ce phénix avec toi quoi qu'il arrive et que tu me joignes s'il se passe quoi que ce soit. Est-ce que tu peux me le promettre, Ashes ? »


    Si elle n'avait pas déjà été muette, Ashes serait restée sans voix.
    Elle observa le phénix entre ses doigts, admira la finesse et la précision des détails, les traits de chaque plume. L'objet possédait un pouvoir magique impressionnant, qu'elle sentait pulser contre sa paume, comme un second cœur, et elle ne connaissait qu'un seul homme au monde capable de conférer une telle puissance et une telle beauté à ses créations. Son poing se referma autour de l'oiseau qui reprit sa forme initiale, les ailes pliées contre son corps.


    Elle hocha la tête, déterminée à ne jamais décevoir ces deux hommes qui avaient tant fait pour elle.
    Siànan, toujours souriant, se releva, et lui tendit la main.
    « Rentrons. »
    Elle accepta.

     

    Chapitre 30

     

     

    Mynocia attacha sa longue natte d'un geste distrait, une barrette coincée entre ses dents. Ses cheveux lui tombaient à présent jusqu'aux hanches et commençaient sérieusement à la gêner. Elle ne tenait pas à ce que la masse violette finisse par entraver ses mouvements au combat et elle envisagea sérieusement de se raser le crâne.
    « Blacky, t'as bientôt fini ? »


    Le martèlement de l'eau contre la baignoire lui répondit et elle soupira. Il leur restait à peine une heure avant la cérémonie et parti comme c'était, ils n'allaient pas être à l'heure. Ils auraient eu rendez-vous avec Leïnae ou Jhi-Laim qu'elle aurait laissé Black mijoter sous la douche, mais pour l'enterrement de Yael, cela ne ressemblait pas au jeune homme de s'attarder.


    Depuis leur retour du repaire, deux jours plus tôt, le justicier demeurait inhabituellement silencieux, le visage complètement fermé. Elle s'était attendue aux cauchemars, aux crises d'angoisse et de larmes. Mais rien. Black vivait en fantôme à ses côtés, s'allongeant dos à elle la nuit pour qu'elle ne puisse voir ses yeux grands ouverts.
    Elle le sentait. La haine et le désir de vengeance allaient consumer son âme.

     Le dernier lacet de sa grande robe blanche fut noué et elle jeta un œil rapide à son reflet dans le miroir. Elle n'avait encore jamais eu à porter le vêtement de deuil traditionnel elfique, et la blancheur immaculée du tissu donnait à sa peau déjà pale une allure fantomatique. Elle flottait dans la robe qui semblait voguer autour de ses hanches. La fibre vibrait de magie et son pouvoir était palpable contre sa peau nue.

    C'était comme enfiler la peau d'un autre, que d'enfiler cette robe, de sentir cette magie qui ne lui appartenait pas émaner autour d'elle.
    Elle soupira de nouveau en se détachant du miroir, dévisageant d'un coup d'œil le cadran de l'horloge de bois à sa droite.


    « 50 minutes ... Mais qu'est-ce qu'il fout ? Souffla-t-elle, mi exaspérée mi préoccupée, en collant son oreille à la porte de leur salle de bain. »
    L'eau coulait toujours. Pas de chant, de bruit de dérapage, de juron contre un savon sauteur, une bouteille de shampoing péteuse ... Et venant de Black, c'était surprenant.
    Elle fronça les sourcils.


    « Blacky, je rentre ! Et pas de savon dans la figure cette fois, je suis changée ! »
    Elle poussa la porte.

    La salle de bain baignait dans une douce odeur de savon et de propre, le rideau de douche était tiré, recouvrant les bruits d'eau qui en émanaient. Mynocia s'approcha, empoigna le tissu humide et le tira d'un grand coup, prête à recevoir un énième regard courroucé et à hurler au noble Blacky-bear de bien vouloir remuer son délicat postérieur parce qu'ils étaient attendus dans moins d'une heure et qu'il allait lui falloir le temps de se changer, à cette andouille.

    Au lieu de quoi, elle perdit voix face au spectacle qui s'étalait sous ses yeux. Black, nu comme un vers, replié sur lui-même dans un coin de la baignoire, les bras serrés autour de ses jambes, tremblant furieusement, ses jointures devenues blanches. Ses cheveux rouges tombaient sur son visage et ses yeux et Mynocia resta immobile quelques secondes, incapable d'assimiler la situation. Il ne pleurait pas, réalisa-t-elle soudainement. Il se tenait juste là, sous ses yeux, le regard perdu au loin, le jet de la douche éclaboussant son dos. Immobile.


    « Mais enfin, qu'est-ce que tu fous ? T'es censé être prêt là ! Tempêta-t-elle en lui saisissant l'épaule, le retournant vers elle d'un coup sec. » 


     Gelé. Black était gelé. La peau de son cou était d'un froid mortel. Immédiatement, l'inquiétude remplaça la colère et elle coupa l'eau froide, tournant de force le jeune homme entièrement face à elle, sa main se glissant sur sa jugulaire pour maintenir son visage à la hauteur du sien. Rien à faire, les yeux bleus demeuraient absents.


    « Debout. »
    La voix était sèche et l'ordre claqua. Comme un automate, Black tenta de se hisser sur ses jambes mais s'écroula sous son propre poids. Mynocia jura et le rattrapa de justesse avant que sa tête ne cogne contre le mur. Elle le souleva hors de la baignoire, laissa échapper une seconde flopée de jurons très colorés et finit par asseoir le justicier sur une chaise en le frictionnant dans une grande serviette.
    « Blacky, t'es avec moi ? »


    Elle écarta les mèches rouges tombées pêle-mêle sur ses yeux. Aucune réponse.

     « Oh, tu sais que tu me cherches ? Pesta-t-elle, incapable de contrôler l'inquiétude de sa voix. L'état de Black lui rappelait celui de Tom lorsqu'ils avaient surpris Stac. »
    Elle le gifla violemment et enfin, Black sembla revenir à lui. Il jeta un regard perdu à Mynocia, les épaules tremblant, et resserra compulsivement la serviette autour de lui.


    « M.m.m.m.m.m.myn... Gémit-il en capturant le regard de la jeune femme, claquant des dents. F.f.f.f.f.f.froid. »
    La guerrière se retint de lui mettre une seconde gifle, rien que pour le principe.
    « Évidemment que t'as froid, crétin ! Tonna-t-elle en l'entrainant à sa suite hors de la salle de bain »


    Elle le poussa sans ménagement sur le lit et l'enroula dans une polaire en lui frottant énergiquement les épaules. Cela ne ressemblait pas à Black, tout cela. Cette crise, ces absences.

    « My... Mynocia ... Geignit Black de nouveau en la sortant de ses pensées, tirant sur sa robe pour la rapprocher de lui. Myn il ... il hurlait. Il hurlait et elle continuait, en riant, en le torturant encore et encore. Et ça giclait, y'avait du sang partout, sur les murs, sur elle et sur lui et ... »


    Il s'étrangla, incapable de terminer sa phrase, secoué de spasmes. La chaleur de Mynocia l'entoura et il se nicha contre elle, son corps gelé tremblant encore.
    « Tu hallucinais, Black. C'est terminé, murmura-t-elle en glissant sa main dans les mèches trempées.
    -NON ! Hurla-t-il soudainement en la repoussant, plongeant dans le regard turquoise, tu ne comprends pas, Myn ! Il ne ... n'y avait pas que Y.Yael ! Il y avait Sean, et Lysia, étendus par terre, baignant dans le sang ... Et c'était moi ! Moi qui les avais tués. Moi qui les ai tués. Les ai tués, Myn ... Tous les trois ... »

     Sa voix se brisa. Il n'en pouvait plus. Le rire dément de Wïane résonnait encore dans son crâne. Le sang revenait. La vision infernale de ses paumes tachées de sang aspirait le monde. Du sang, encore et encore, de partout, qui recouvrait son corps, son cœur, son âme ...


    Et soudainement, plus rien. Il rouvrit les yeux en sentant la chaleur familière de Mynocia, la sensation bien connue de l'eau parcourant ses veines et atteignant son cœur pour noyer ses peurs. Leurs doigts étaient liés en fusion d'âme et soudainement, sa douleur sembla apaisée. Retenant un sanglot, il se terra contre elle, disparaissant dans son cou, concentré sur sa chaleur, son odeur, sa présence toute entière qui l'entourait d'une aura protectrice.

    « Tu hallucinais, Blacky, répéta-t-elle en articulant chaque syllabe. Tu ne les as pas tués, et tu n'es pas responsable de leur mort. Tu es un justicier, pas un meurtrier. Et tu ne pourras pas tous les sauver. »
    Black ferma les yeux, le nez plongé contre le cou de la jeune femme. A quoi bon se battre s'il n'était même pas capable de sauver ceux qu'il aimait ? Il n'était plus un justicier, et encore moins un héros. Au fond, qu'était-il, sinon un faible de corps et d'esprit ? Un pauvre gars qu'une stupide légende avait pris pour un sauveur. Une erreur de casting.


    « Black. »
    Le ton était ferme mais doux. Il rouvrit les yeux en sentant les mains de la guerrière prendre son visage en coupe et le relever vers elle. Leurs regards se soudèrent, et Black perdit son souffle. Dans les yeux turquoise brillaient le courage, la foi ... Et une lueur rare. Précieuse. Presque inédite. Un éclat pur d'amour sauvage.

    « Ils ne t'auront pas. Ni toi, ni moi. Et tant que nous serons deux, ils trembleront. Alors oui, tu as perdu des amis, des êtres chers, et si tu ne te reprends pas, tu en perdras encore. Tu ne comprends donc pas ? Tu es sur le point de faire exactement ce qu'ils attendent de toi, ce que Wïane attend de toi. Alors maintenant tu m'enterres cette haine, tu en fais ta force, et tu ne les laisse pas jouer avec. Vu ? »


    Black garda le silence, fouillant ses yeux. Comment pourrait-il oublier cette douleur, ce vide, ce néant qui dévorait sa poitrine ? Son âme toute entière criait à la vengeance si fort qu'ils ne parvenait pas à réfléchir. Il ne pouvait pas laisser son crime impuni. Elle allait payer, qu'importait le prix.


    Les yeux résolument secs, il lâcha la main de Mynocia et déposa un baiser sur sa joue. La guerrière sentit bien que sa mise en garde était passée par l'oreille d'un sourd, mais laissa couler. Ils auraient l'occasion d'en reparler, et tant qu'elle demeurait à ses côtés, le jeune homme ne risquait pas grand-chose.


    « Allez, lève-toi, on va vraiment finir par être à la bourre, Blacky-bear, fit-elle en le tirant de force sur ses pieds, et habille-toi, parce que je doute franchement que les elfes apprécient de te voir débarquer quéquette au vent. »

    Lorsque tous deux gagnèrent la cour, le peuple s'était déjà réuni autour de l'autel. Black et Mynocia se joignirent aux elfes, réunis en une grande ligne fixant le soleil levant derrière les sombres murailles du château. Face à eux, les mains jointes sur son ventre, vêtue d'une grande robe blanche, Clia se tenait dressée devant l'autel, seule, le menton bas.


    Sur la pierre blanche avait été déposé le corps de Yael, recouvert d'un linceul flamboyant aux broderies compliquées qui ne laissaient voir de l'enfant que la forme floue d'une silhouette. Black détourna le regard, les mains tremblantes et moites, incapable de contempler plus longtemps l'affreuse vérité. Il entendit vaguement Tom prendre place à sa gauche, les yeux brouillés, perdus entre deux brins d'herbe.

     

    Chapitre 30

    AMBIANCE

    Chapitre 30

    Soudain, le silence tomba brusquement sur l'arrière cour. Tous les elfes redressèrent la tête et des lumières fusèrent aux quatre coins de l'autel. Dans le silence le plus parfait, de petites sphères orangées chatoyèrent, entourant le peuple d'une douce lueur féerique. Le ciel face à eux tourna à l'orange vif. Le soleil allait apparaître à l'horizon.


    Black musela ses larmes, serrant les poings.


    Face à lui, Clia releva la tête et les premières notes résonnèrent, portées par les sphères brillantes dansant autour d'eux. La souveraine éleva ses paumes vers le ciel, offrant sa voix emplie de magie aux premiers rayons du soleil. La musique était d'une douceur que Black ne soupçonnait pas. A ses côtés, Tom se détacha des rangs, rejoignant sa mère en même temps que son frère, tous deux reprenant d'une voix grave la mélodie. Mihaje et Leïnae suivirent, et le petit groupe s'arrêta autour de l'autel, sans cesser un seul instant de chanter.


    En elfique, Black crut saisir quelques mots des paroles sacrées.

     
               Vogue, petite goutte perlée                                   Vole, souffle passager
               Accorde-toi le plus beau des voyages                   Déploie tes ailes immaculées
               Vogue, laisse toi porter                                         Vole, laisse toi porter
               Les étoiles du soir formeront ton sillage.               La nuit te protègera du danger.
     
               Valse, cesse de lutter.                                          Flamboie, insaisissable clarté
               Rejoins la terre qui t'as élevé                               Illumine les ténèbres de ton histoire
               Valse, laisse toi porter                                          Flamboie, laisse toi porter
               Au matin nos couleurs seront hissées                  Demain le soleil brillera à ta mémoire.

     

     
     Soudain, autour de lui, toutes les voix des elfes s'élevèrent à l'unisson et les sphères s'immobilisèrent. Sous le linceul brodé, l'âme de l'enfant perdu se débattait, se détachait, emportait ce corps arraché à la vie. Le chant monta, les elfes joignirent leurs mains. La musique s'arrêta. Seules restèrent les voix. Une nouvelle fois, Clia offrit ses paumes aux cieux.


    Cette fois-ci, Yael la suivit. Le linceul se souleva doucement, se balançant au rythme lent des voix emplies de magie. Les orbes devenues dorées se réunirent autour de lui, dansèrent un instant, puis s'évanouirent. Le linceul retomba sur l'autel en même temps que les voix des elfes.

    Vide, et blanc. Yael n'était plus.

    Une larme s'échappa des yeux sombres de la Reine. Le cristal d'eau salée se perdit dans l'herbe. Le soleil se leva à l'horizon, éclaboussant la cour de haillons dorés.
    Clia ferma les yeux ... Et s'écroula.

    L'instant resta en battement. Les elfes regardèrent tomber leur Reine, perdus dans la symbiose douloureuse de la Nirh-Sïa. Soudain, Leïnae se rua sur elle, et le peuple tout entier eut un sursaut. Tom, Mihaje et Jhi-Laim rejoignirent la voyante en quelques enjambées. Black, incapable d'assimiler tout ce qu'il venait de voir et d'entendre, regarda, perdu, Jhi-Laim improviser un brancard pour acheminer d'urgence leur souveraine vers l'hôpital. Autour de lui, la panique gagna les elfes, et il entendit vaguement Tom tenter de les rassurer. Lorsque Mynocia le tira à sa suite en l'attrapant par le poignet, il suivit malgré lui.

     

    Yael était mort. Mort, et tout cela n'était que trop réel. Le monde tanguait autour de lui, autour de ce trou noir qui aspirait son cœur, sa volonté et sa force.


    Sans trop savoir comment, il se retrouva aux côtés de Mynocia et Tom, tous trois assis sur des chaises dans un couloir face à la porte de l'hôpital du QG. Il lui sembla alors se réveiller d'un long sommeil douloureux.
    « Blacky, t'es avec nous ? Demanda Mynocia en attrapant son regard. »


    Vaguement, il hocha la tête, réalisant doucement ce qu'il venait de se produire.
    Incapable de demeurer assis, Tom s'éjecta de sa chaise et se mit à faire les cent pas dans le couloir, jouant nerveusement avec les coutures de son costume blanc. De longues minutes s'écoulèrent et Mynocia finit par intervenir.


    « Tom, tu me fous mal au crâne, arrête de tourner comme un lion en cage ! Jhi-Laim nous a assuré que nous serions les premiers informés de son état, alors pose tes brioches sur cette chaise et calme-toi !
    -Me calmer ? Me calmer ?! S'emporta le chef de guerre en continuant ses tours de couloir, je ne peux pas Myn, je ne peux pas la perdre ! »

    Cela en fut trop pour Black. Le jeune homme se leva brusquement et disparut au bout du couloir. Tom se lança à sa suite, immédiatement inquiet, mais Mynocia lui retint le coude.
    « Il a besoin d'intégrer tout ça, Tom. Laissons-le seul un moment. S'il a besoin de nous, il sait où nous trouver. »


    Le chef de guerre décida de faire confiance à son amie, ravalant la boule d'anxiété gonflant dans sa gorge. Après tout, Black s'était isolé quelques jours à la mort de Sean, se rappela-t-il. Ils lui devaient bien un peu de temps seul, de paix et de confiance.

    Tom tourna son regard vers Mynocia qui n'avait pas lâché son coude. La guerrière avait les traits tirés, les yeux cernés, et sa belle robe blanche était complètement froissée ... Mais elle souriait, rassurante.
    Lorsqu'elle tira sur sa main pour le forcer à s'asseoir, Tom se laissa faire, guidé par la chaleur de la peau de la jeune femme.


    Tom ferma les yeux, inspirant profondément, refusant de lâcher ses doigts. Sa mère était entre les mains expertes de son frère. Il avait confiance en Jhi-Laim plus que quiconque. Il était le meilleur soigneur du royaume, il pourrait la guérir. Non, même, il allait la guérir. Après tout, cela ne pouvait être autrement. Clia était la reine. Une souveraine intouchable.


    Intouchable, mais pas immortelle, lui chuchota une affreuse voix.
    « Tom .. Elle va s'en sortir, tu sais. »
    Mynocia sembla avoir suivi le fil de ses pensées.
    « J'ai peur, avoua-t-il dans un souffle, que cette guerre ne sonne notre perte à tous. »

     

    Leur regards se mêlèrent un instant. L'éclat bienveillant disparut du cristal turquoise. Mynocia détourna les yeux.
    « Moi aussi ... Moi aussi, j'ai peur, tu sais, parce que cette guerre nous entraîne tous dans les ténèbres, et on aura beau s'armer, se préparer, s'entraîner, on ne saura jamais vraiment ce qui nous attendra dans la bataille. Ne fais pas comme moi, Tom. Garde foi. Foi en ton peuple, en ton armée, en tes hommes, autant que foi en Black et foi en toi. Jhi-Laim va soigner Clia, et même si elle est malade, que c'est soit disant incurable, on s'en fiche, parce que tu m'as dit une fois que l'impossible pouvait aller se faire foutre. »


    Tom garda le silence. Il y avait dans les mots de Mynocia l'écho d'une sombre douleur étrange et inhabituelle. La Mynocia qu'il aimait et admirait croyait en ses propres mots, en sa propre force. Or, il y avait dans la voix claire de la jeune femme l'ombre d'un désespoir, d'une résignation passive qui ne lui ressemblait pas.


    Il allait répliquer, la secouer, s'indigner, tenter de faire disparaître cette étrange vision lorsque la porte s'ouvrit sur Jhi-Laim.
    «Vous pouvez entrer, fit le Prince, s'écartant d'un pas pour laisser passer Tom qui avait bondi sur ses pieds. »

     

    Hors de danger. Clia était complètement hors de danger. Tom soupira de soulagement en contemplant le visage endormi de sa mère adoptive.


    « La cérémonie a dû l'épuiser, murmura Jhi-Laim en rejoignant son frère et Leïnae au chevet de la Reine. Sa maladie la ronge depuis trop longtemps et la Nirh-Sïa demande un grand potentiel magique .. »
    Il repoussa doucement une mèche brune du visage de sa mère. Jamais il ne l'avait entendue se plaindre de sa condition ou de la baisse de ses pouvoirs, et pourtant, elle avait fini par craquer. Tomber de fatigue et d'épuisement.


    A ses côtés, Tom soupira de nouveau.

    Jhi-Laim sourit, passant ses bras autour de ses épaules. Il en oubliait parfois à quel point son frère était jeune et fragile lorsqu'il s'agissait de sa famille.
    « Je vais aller rassurer le peuple, fit le Prince en libérant Tom. Mihaje, tu viens avec moi ? Tous les trois, je vous confie la Reine. »


    Il vérifia une dernière fois l'état de sa mère, remonta les draps, et sortit de la pièce, l'elfe sur ses talons. Leïnae, Tom et Mynocia se retrouvèrent seuls avec Clia.

    Le silence s'installa, et après de longues minutes, Leïnae leur assura que Clia était hors de danger une fois de plus lorsqu'un elfe proposa à Tom de le raccompagner à ses quartiers. Le chef de guerre souhaita rester. Mynocia suivit, consciente que Tom avait besoin de sa présence pour ne pas sombrer. L'elfe hocha la tête, comprenant, et leur offrit de leur amener de quoi manger. Le chef de guerre allait refuser lorsque Mynocia prit les devants. Il avait besoin de se nourrir, et elle aussi, bien que tous deux n'aient aucunement faim. Sentant que toute argumentation serait inutile, Tom abdiqua et se força à avaler un bol de soupe lorsque l'elfe revint.

    Aux alentours de trois heures de l'après-midi, Jhi-Laim revint prendre des nouvelles de la Reine. Leïnae lui assura alors qu'elle se réveillerait dans la soirée. Le prince en fut si soulagé qu'il enlaça brusquement la voyante. Habituée aux débordements d'affection du prince, Leïnae bloqua ses pouvoirs, ce qui n'empêcha pas Jhi-Laim de frissonner lorsqu'il s'écarta.


    « Je ne m'y ferai jamais ! Plaisanta-t-il en secouant la tête pour chasser les quelques images que Leïnae n'avait pas pu censurer. »

    Tom laissa un sourire passer la barrière de ses lèvres devant les pitreries de son frère. Mynocia, du coin de la fenêtre où elle s'était adossée, brisa le silence :


    « Reste un peu, Jhi-Laim.
    - Je ne peux pas, soupira le prince en se tournant vers elle, je dois accompagner Mihaje à l'inauguration d'Illusion pour le peuple.
    - On ne peut pas te remplacer ? Proposa-t-elle soudainement. Avec Tom, on s'entraîne avec Illusion depuis plus de deux mois, alors on est plutôt bien placés pour répondre à leurs questions. Et ça bougera ton frère, parce que là il nous rumine de la poussière depuis quatre heures et ça commence à lui boucher les tuyaux. »


    Le chef de guerre lui jeta un regard outré, juste pour le principe, même si elle n'avait pas totalement tort. Rester assis à penser à la guerre et à la mort ne l'aidait pas. Jhi-Laim sembla sérieusement considérer l'idée.


    « J'aimerais bien que tu restes avec elle, Jhi', dit Tom, achevant de convaincre son grand frère. »

    Vingt minutes plus tard, tous deux se retrouvèrent à l'intérieur d'Illusion, aux côtés de Mihaje qui avait haussé un sourcil en les voyant arriver, et de Liam et Nawi qui semblaient tous deux ravis d'avoir des témoins pour expliquer au peuple les effets d'Illusion. Ellyre demeurait aux abonnés absents. Face à eux, une petite troupe de guerriers et guerrières s'était ressemblée pour écouter les recommandations. D'après les explications éclair de Jhi-Laim, la mise à disposition de la salle pour le peuple s'adressait surtout aux elfes souhaitant travailler leur maîtrise de la magie sans blesser personne ou détruire le paysage, mais tout soldat souhaitant s'entraîner était aussi le bienvenu. Le seul inconvénient était que les capacités de la salle dépendaient du nombre de personnes à l'intérieur et pour Liam, il valait mieux ne pas dépasser les six guerriers pour que l'entraînement reste efficace. A présent, à plus de vingt dans la même pièce, Illusion ne semblait être qu'une salle affreusement banale et blanche.


    Liam suait à grosses gouttes et Nawi, qui ne valait guère mieux, finit par faire sortir le petit groupe pour continuer ses explications à l'extérieur.
    Elle ne tenait pas à perdre un soldat dans les limbes de la dimension.


    Le petit groupe rejoignit une salle vide et les explications reprirent. Les questions des soldats fusèrent et Mynocia prit instinctivement les réponses en main. Tom se perdit dans ses pensées, laissant à son amie le soin de mettre en garde le peuple. Immédiatement, l'image de Black revint dans sa mémoire. Il était tellement inquiet pour sa mère qu'il n'avait pas su réconforter son ami. La seule chose qu'il avait été capable de faire était de ne penser qu'à lui et à sa peur, abandonnant Black à son chagrin. Lorsque le groupe partit, le chef de guerre s'approcha de Mynocia, lui proposant d'aller retrouver Black dont ils n'avaient plus de nouvelle depuis le début de l'après-midi. Liam, qui avait intercepté sa question, répondit à sa place.


    « Je l'ai aperçu tout à l'heure, allongé dans l'herbe de l'arrière cour. Il semblait vraiment épuisé. »


    Tom jeta un regard à Mynocia et tous deux décidèrent d'un accord tacite de monter dans les appartements des liés. Ils furent surpris de constater que Black ne s'y trouvait pas. Tom allait partir à sa recherche lorsque Mynocia l'arrêta.


    « Laissons-lui du temps, Tom. Je lui fais confiance. S'il a besoin de nous, il sait que nous sommes là. »
    Le chef de guerre abdiqua, tombant sur le petit sofa, réalisant qu'il était épuisé. Un silence calme s'installa quelques instants et Tom, rejouant la journée derrière ses paupières closes, se souvint de l'état de Mynocia quelques heures plus tôt.


    « Dis, Myn ?
    - Mh ?
    - Tout à l'heure, dans le couloir ... Qu'est-ce que tu voulais dire par '' ne fais pas comme moi'' ? »
    Comme il s'y attendait, elle en répondit pas. Quelque chose clochait, il en était certain.


    Enfin, après de longues minutes, elle avoua, à mi-voix, le regard perdu dans les étoiles naissantes derrière la fenêtre :
    « C'est ... Je me le demande souvent, à présent. Qu'est-ce que cela aurait fait, Tom, si j'avais sauté ce soir-là ? »


    Le cœur du chef de guerre s'arrêta un instant. Jamais il ne parviendrait à oublier cette nuit-là.
    « P.pardon ? Balbutia-t-il, incapable de reconnaître Mynocia à travers ses mots.
    - Ce soir, précisa-t-elle comme si cela était utile, deux ans après mon arrivée au QG, où tu m'as trouvée à fixer la trentaine de mètres me séparant du sol en me demandant quel goût aurait la mort. Ce soir où tu as surgis de nulle part pour me faire la morale. Est-ce que tu crois que j'aurais pu t'épargner toi, épargner Black ? Que j'ai été trop prétentieuse de vouloir vivre ? »


    Tom resta sans voix, fixant le profil de la jeune femme à la recherche d'une étincelle d'humour, de cynisme, de sarcasme. Mais rien. Rien d'autre que le doute ne brillait dans les yeux de Mynocia.

    « Comment ... Comment peux-tu simplement penser une chose pareille ? Eclata-t-il, incapable de supporter l'éclat triste de résignation qui scintillait dans le turquoise. Tu te rends compte que souhaiter être morte ce soir-là, ce serait vouloir effacer tout le reste ? Effacer notre combat, notre amitié, et nos promesses ? Non, laisse-moi finir, coupa-t-il en voyant qu'elle allait l'interrompre. Tu représentes bien trop pour moi, Mynocia, pour que je puisse te laisser dire des absurdités pareilles. Je n'aurais pas pu supporter que tu aies sauté ce soir là. Alors, je t'en supplie, ne doute pas, pas de moi. Tu m'as apporté tellement, Myn', tellement, que je ne pourrais jamais te rendre le quart de tout ce que j'ai pu construire grâce à toi. »


    Tom reprit son souffle, surprit de se trouver au bord des larmes.


    « Ta voix ... Murmura-t-il, ta voix, ce soir-là, est encore gravée dans ma mémoire. Je ne t'ai jamais vue pleurer, Mynocia, mais cette nuit-là, alors que ton cœur saignait encore, j'ai vu des larmes dans ta voix. Et tu m'as offert ça. Alors j'ai chanté avec toi, parce que ce que j'ai reçu de toi, ça allait au-delà des mots, au-delà de tout. C'était la plus belle des marques de confiance. Alors, je t'en conjure, ne l'oublie pas. On s'en fout du destin, des prophéties ou des légendes. Je suis là, avec toi, et notre futur est là, entre nos doigts. Pas huit ans en arrière, pas dans une putain de légende, pas dans le souvenir du sang ou de la mort. Il est là, et maintenant. »

    Tom croisa le regard turquoise, noyé dans un océan de souvenir. La vie dévorait de nouveau les yeux de la guerrière. Le chef de guerre se leva brusquement, disparaissant dans un placard. Mynocia le suivit du regard, un sourcil levé, comparant mentalement l'attitude de son ami à celle de Black. L'idée la fit sourire. Le jeune homme allait marquer leurs vies durablement.


    Tom sortit du placard, deux guitares à la main, un petit sourire plaqué sur ses lèvres. À son tour, Mynocia fut assaillie par les souvenirs. Elle avait gardé les instruments sans jamais penser s'en resservir.
    « Tom ... »
    Qu'allait-elle dire ? Non ? Et pourquoi ? Trop de souvenirs, de douleur dans quelques paroles ? Pourquoi refuserait-elle, après tout ? C'était Tom.


    « S'il te plaît, Myn. »
    Oh, et puis qu'importe. Elle attrapa la guitare et la plaça sur ses genoux, ses doigts retrouvant instinctivement les accords créés des années plus tôt.
    Tom joua les premières notes.


    Elle ferma les yeux.
    La musique l'emporta.

     

    Chapitre 30

     

     

    Le son des canons au loin résonne comme une prière
    L'armée rouge, leurs soldats de feu, la puissance meurtrière
    N'atteindront plus jamais la muraille de nos vallées
    Ils reviendront embraser nos guerriers.
    Mais alors, nous serons prêts.

    Par delà les rivières de feu et d'argent
    Au-delà des terres sacrées foulées par le vent
    Là où les étoiles chantent l'espoir et le courage
    Où toutes nos peurs ne seraient que des mirages
    Je t'emmènerai.

    Le Grand Roi a chuté du trône d'acier
    La terreur, le sang, enfin cesseront d'exister.
    La lumière bleutée brille au bout du chemin
    La paix scintille à présent au creux de nos mains.

    Par delà les rivières de feu et d'argent
    Au-delà des terres sacrées foulées par le vent
    Là où les étoiles chantent l'espoir et le courage
    Où toutes nos peurs ne seraient que des mirages
    Je t'emmènerai.

    Le vent nous portera au-delà des terres dévastées
    Nous vaincrons la douleur et rapprendrons à aimer
    Il sera notre force, nos ailes, notre armée
    Et s'il échoue, je t'apprendrai moi-même à voler.

    Par delà les rivières de feu et d'argent
    Au-delà des terres sacrées foulées par le vent
    Là où les étoiles chantent l'espoir et le courage
    Où toutes nos peurs ne seraient que des mirages
    Je t'emmènerai.

    Je t'emmènerai aux frontières du réel
    Là où tous nos rêves sont éternels
    Les astres dansent sous nos yeux
    Et bercent à jamais l'adieu des cieux.

    Par delà les rivières de feu et d'argent
    Au-delà des terres sacrées foulées par le vent
    Là où les étoiles chantent l'espoir et le courage
    Où toutes nos peurs ne seraient que des mirages

     

    Je t'emmènerai.

     

     

    Les dernières notes résonnèrent, voguèrent doucement entre eux. Les étoiles semblaient avoir migré dans leurs yeux. Les doigts serrés sur la guitare, Mynocia souriait.
    Doucement, le temps sembla se reconstituer autour d'eux. Le silence fut brisé par des conversations plus légères. Tous deux purent enfin se retrouver.


    A l'extérieur, la nuit s'épaissit.
    Black n'était toujours pas rentré et il allait bientôt être neuf heures. Ne voulant pas alerter Tom, Mynocia repoussa le mauvais pressentiment qui grimpait dans sa poitrine, pulsant fort contre le lien.
    Tous deux allaient finalement se relever et partir à la recherche de Black lorsque l'on frappa à la porte des appartements. Tom se rua sur la poignée, prêt à accueillir son ami, et resta statufié lorsqu'Ellyre lui tomba dans les bras.


    « J.j.j.je je suis d.désolée ... Balbutia-t-elle.
    - Qu'est-ce qu'il se passe ? Demanda Tom, abasourdi, mal à l'aise face à la jeune femme.
    - Où est-il ? Coupa durement Mynocia. »
    Ellyre fondit en larmes.

     

    Chapitre 30

     



    Plusieurs heures plus tôt.


    Black n'en pouvait plus. Il ne pouvait plus rester à attendre sagement d'avoir des nouvelles de Clia, et de faire comme si le trou béant qui dévorait son cœur avait disparu. Progressivement, ses pas se transformèrent en enjambées et il se retrouva à courir encore et encore, à dévaler les couloirs sans savoir où il allait. Soudainement, il se retrouva à l'extérieur, dans la fraicheur de l'arrière cour où l'autel avait déjà été enlevé. Ne surveillant plus ses foulées, il se prit les pieds dans une racine et chuta misérablement face contre terre, se retrouvant le nez dans l'herbe. Il n'avait même plus la force de se relever. Il demeura contre le sol froid, les poings plantés dans l'herbe, les yeux clos, la douleur aspirant tout son être. Il n'arrivait même plus à pleurer.

    Seule la haine resta, chaudement serrée contre son cœur, dévorant son âme d'un immense brasier. L'herbe était fraiche, encore humide, et la terre collait à ses doigts. Sous ses yeux, l'étoile rouge à son cou avait atterri entre les brins pales. Il s'en saisit d'un mouvement rageur, serrant le pendentif entre ses doigts. Qu'il haïssait cette foutue légende, cette affreuse guerre. Il n'avait rien demandé à personne lui, et on lui prenait tout. Tous ceux qu'il aimait tombaient les uns après les autres, et il n'en pouvait plus.


    Il serra les dents, refermant férocement son poing autour de l'étoile. Wïane allait payer. Payer pour toutes ces vies prises à cause de lui, de sa simple existence.


    Les branches rouges percèrent la chair de ses paumes et son sang dégoulina dans l'herbe. Il suivit des yeux le trajet des gouttes vermillon, rêvant de sentir le sang de Wïane sur ses doigts.

     


    Il voulait la tuer. La faire souffrir, hurler, saigner. Soudainement, la réalisation lui coupa le souffle. Elle allait faire de lui un tortionnaire, un animal, un monstre assoiffé de sang s'il la laissait faire. Black relâcha l'étoile trempée de sang comme s'il s'était brûlé. Il ne voulait pas devenir ce monstre. Il ne pourrait pas la torturer, réalisa-t-il en se sentant soudainement horriblement faible. Il en était simplement incapable. En revanche, il se devait de la mette hors d'état de nuire. Peut être bien qu'il y resterait. Mais il l'emporterait avec lui pour que plus jamais elle ne puisse détruire des vies comme elle avait détruit la sienne.

    « Black ? »
    Il sursauta brusquement, tous sens en alerte, prêt au combat, à l'attaque ... et se retrouva face au visage ahuri d'Ellyre. La jeune femme tenait une liasse de papiers dans ses mains et semblait visiblement très surprise de le trouver couché seul dans l'herbe à une heure de l'après-midi. Soudain, elle sembla remarquer son état et son visage se barra instantanément d'une ride d'inquiétude.


    « Mais tu es blessé ! S'exclama-t-elle en dévisageant le sang sur sa main.
    - Non, c'est bon, c'est rien, tenta-t-il de balayer d'un mouvement du poignet. »
    Comme pour le contredire, sa paume le lança brusquement et il ne put s'empêcher de grimacer. Son esprit semblait avoir oublié d'avoir mal.


    « Je vais t'accompagner à l'hôpital ! Paniqua Ellyre en perdant ses papiers dans la bataille, ne prenant même pas la peine de se baisser pour les ramasser ».

    « Ellyre, je t'assure, ce n'est pas la peine, certifia Black en rassemblant les feuilles de sa main valide. »
    Curieusement, la présence de la jeune femme ne le dérangeait pas. Ces derniers temps, tous deux s'étaient tenus volontairement à l'écart l'un de l'autre et la distance semblait leur convenir. Ellyre tomba à genoux, l'aidant à réunir ses documents sans pour autant lâcher sa main blessée du regard. Elle reprit la pile sous son bras, callant les feuilles contre son pull à mailles épaisses.


    « Laisse moi au moins te désinfecter, s'il te plaît. »
    L'éclat d'inquiétude dans les yeux noisette était sincère et Black abdiqua. Il ne tenait pas à ce que sa main s'infecte après tout.


    Le justicier suivit Ellyre jusque dans les appartements des reflets de lune, étonné de constater que Liam et Nawi ne s'y trouvaient pas. Lorsqu'il posa la question, Ellyre lui expliqua qu'ils devaient préparer Illusion pour la cérémonie d'ouverture au peuple.


    « Et tu n'es pas censée les aider ? Questionna-t-il en regardant la jeune femme fouiller un placard à la recherche de désinfectant.
    -Il faut être deux pour maintenir Illusion, l'entendit-il répondre de l'autre bout de la pièce, en théorie ils s'en sortiront très bien sans moi... Ah, trouvé ! »
    Black s'assit sur le recoin de la table et haussa les sourcils en voyant le flacon de désinfectant. Cela faisait des mois qu'il n'avait plus aperçu de mélange humain, et la petite bouteille verte pomme en plastique lui sembla soudain tout droit sortie d'une autre époque.


    « Vous avez emporté beaucoup de choses humaines avec vous ? Demanda le justicier en parcourant la pièce du regard pendant qu'Ellyre nettoyait sa main blessée.
    -J'ai déménagé la moitié de mon studio, sourit-elle sans lâcher sa paume des yeux, Liam a installé une copie de la bibliothèque nationale dans sa chambre et Nawi ... A trimballé quelques babioles, surtout des armes, mais pas grand-chose à côté de notre bazar. »

    Black repensa au portable de la jeune femme. Il était incapable de savoir si le monde humain lui manquait ou non. Il aimait le royaume des elfes, s'était habitué à ses coutumes et bizarreries, et il n'avait plus vraiment d'attache avec le monde humain. Ses amis étaient ici.


    « Et voilà, termina Ellyre en fixant la bande à son poignet, c'est pas hyper bien fait mais au moins ça ne s'infectera pas ! »
    Black la remercia, pliant et dépliant ses doigts et elle lui adressa un petit sourire gêné en retour. Il demeura ainsi de longs instants, contemplant la bande avec un intérêt grandissant. Il n'avait pas pu réellement discuter avec Ellyre depuis « l'incident Mynocia »


    « Tu veux un truc à boire ? Finit-elle par proposer en se détournant de lui, il doit rester du coca au frigo. »
    Black accepta. Depuis le temps qu'il n'avait pas bu de soda !


    Finalement, peut être avait-il mal jugé la jeune femme. Certes, Ellyre était un peu fleur bleue, parlait beaucoup –trop– d'elle, n'était pas toujours très éloquente mais ... Elle avait bon fond et il le sentait.


    La discussion était venue naturellement et tous deux avaient fini échoués dans le canapé, à discuter de tout et de rien, du monde humain, des études, de leur vie de jeunes adultes. Après tout, Ellyre avait son âge, et à passer ses journées avec Mynocia et Tom, il en venait parfois à oublier qu'il n'avait « que » dix-huit ans.
    « J'sais pas, j'bosserais bien dans la pub ou dans le design ... Un truc qui me permette de créer quoi ! Et toi, tu feras quoi ? »


    La question laissa Black muet. Il n'avait pas réfléchi à tout cela. Les études, la recherche d'une orientation professionnelle ... Il n'était plus tout à fait sûr d'être concerné. S'il survivait à la guerre, il s'installerait avec Mynocia, dans le royaume elfe ... Mais Ellyre face à lui semblait attendre une réponse et il ne se sentait pas suffisamment proche de la jeune femme pour lui avouer le fond de sa pensée.
    « Mh ... J'aimerais bien travailler avec des enfants. »


    Et c'était vrai. Dans une autre vie, il aurait aimé devenir instituteur, éducateur ou professeur.
    Mais sa vie, c'était la guerre, les combats, et la magie. Le seul enfant de son entourage lui avait été cruellement arraché.

    Le silence tomba entre eux. Les doigts de Black tremblaient contre la canette.
    « Black je ... Je voulais m'excuser. »


    Une fois de plus, Black fut pris de court. Ellyre reprit :
    « Pour l'autre jour ... je sais pas trop ce qui m'a pris, j'aurais pas dû t'embrasser, dire toutes ces choses sur Mynocia ... j'aurais pas du me mêler de tout ça, en fait. Donc voilà, je suis allée trop loin, je m'en excuse et ... Ca ne se reproduira pas. »


    Les joues roses, elle détourna le regard, fixant un point le plus loin possible de lui.
    « Je ... Pas de problème, Ellyre ... je veux dire, on pourrait être amis toi et moi, tu ne crois pas ? »
    Après tout, il s'entendait plutôt bien avec elle, ils avaient des intérêts communs et tant qu'elle restait éloignée de Mynocia ... Le monde n'exploserait pas.


    Face à lui, Ellyre lui sourit, tendant sa canette. Amusé, il frappa son soda contre le sien dans un petit bruit métallique. Après tout, pourquoi pas ?

    L'après-midi s'écoula et rapidement, Black sentit la rage revenir au galop dans son cœur. Il ne pouvait pas rester simplement à attendre que Wïane lui dérobe quelqu'un d'autre. Ellyre finit par sentir son malaise et lorsqu'elle lui posa la question, il avait déjà pris sa décision.


    « Ellyre ... Il faut que je retrouve Wïane. Est-ce que tu veux m'aider ? »
    Si la requête sembla surprendre grandement la jeune femme, elle n'hésita pas plus longtemps.
    Black l'entraina à sa suite et tous deux se retrouvèrent dans l'arrière cour, pour qu'Ellyre puisse retrouver la signature magique de Wïane. C'était terminé, pensa Black en faisant les cent pas. Tout ce mal allait enfin prendre fin. Il allait la tuer.


    « J'ai une signature, mais c'est trop flou pour être vraiment localisable ... Seule, je ne suis pas assez puissante et la marque est trop vieille ... soupira Ellyre, l'air profondément désolé, en se redressant. »
    Black s'immobilisa, réfléchissant. Hors de question de faire appel à Nawi ou à Liam, ils le dénonceraient forcément à la reine ou pire, à Mynocia. Il ne restait plus qu'une solution.
    « Suis-moi. »

    La porte des appartements de Tom n'avait pas été difficile à forcer. Arrivé sur le seuil, Black avait longuement hésité. Le chef de guerre lui en voudrait, il le savait. Mais l'éradication de Wïane était prioritaire.
    « Black, j'aime pas faire ça ... Se plaignit Ellyre, restée debout dans l'encadrement, alors que le justicier fouillait dans les documents du chef de guerre.


    - Moi non plus, admit-il en ouvrant le second tiroir, mais c'est nécessaire, et je sais qu'ils ont localisé le QG, Tom me l'a dit l'autre fois et ... BINGO, j'ai ! »
    Il sortit le plan de la commode et tira Ellyre hors de la pièce, laissant derrière lui les reliefs de son pillage.
    Ellyre suivit tant bien que mal. Cela n'allait plus. Plus du tout. Elle sentait que Black était en train de perdre le contrôle, de l'entraîner dans une affaire qui causerait sa perte.


    Le justicier stoppa sa course dans un couloir sombre et déplia la carte.
    « Super, il y a même la localisation exacte ! Ellyre, tu as encore ta boussole ?
    -Euh, oui, je crois ... Fit-elle, à bout de souffle d'avoir trop couru, fouillant ses poches. Oui, elle est là ! S'exclama-t-elle en sortant l'objet.
    -Génial, dit Black en la lui prenant un peu brusquement des mains. »

    « Black ... Tu crois pas que tu vas un peu trop ...
    -Je suis désolé, Ellyre, coupa-t-il soudainement. »


    La jeune femme lui lança un regard d'incompréhension et il en profita pour lui frapper la nuque, l'assommant, prenant garde à ne pas trop la blesser. Il s'assura qu'elle ne soit pas dans une position douloureuse et détala, boussole et carte sous le coude, abandonnant le corps de la jeune femme derrière lui.
    « Désolé, Ellyre, pensa-t-il en évitant un garde, mais je ne veux plus risquer la vie de personne maintenant. »


    Il dévala les marches jusqu'à l'armurerie, déroba deux dagues et deux sabres avec leurs fourreaux sous le nez du garde, fit un détour par le réfectoire pour prendre des forces et s'envola hors du château, le visage de Wïane inscrit au fer rouge dans son esprit.
    Cette fois-ci, l'un d'entre eux allait périr.

     

    Chapitre 30

     

    Lorsque Siànan ouvrit les yeux, la première chose qu'il réalisa fut qu'il s'était encore assoupi dans les appartements de Combustor. Il se redressa sur le grand lit, se passant une main sur le visage pour tenter de se secouer un peu. Il parcourut la pièce du regard, souriant en apercevant Kulilaahn penché sur de la paperasse. Il s'éjecta du lit, se traina jusqu'à la salle de bain et tenta de remettre ses neurones en état de marche. Trop de sommeil tuait parfois le sommeil. Il était revenu avec Ashes la veille, avait veillé sur elle l'après-midi, puis avait rejoint Combustor pour faire son rapport ... Et avait passé la nuit avec lui.


    Kulilaahn releva le nez de ses papiers lorsque son valet sortit de la salle de bain en passant un pull sur ses épaules.
    « Bonsoir, Siànan. »


    Le ton était clairement amusé et le dénommé jeta un regard à l'horloge. Vingt deux heures trente ?!
    « Vous m'avez laissé dormir dix-huit heures ? Calcula Siànan en écarquillant les yeux. »
    Pour toute réponse, Combustor haussa les épaules.
    « Tu ronflais paisiblement.
    -Je n'ai jamais ronflé de ma vie, répliqua-t-il instinctivement, toujours un peu sonné que Kulilaahn l'ait laissé se reposer. »

    Le souverain sourit, se levant de son bureau pour le rejoindre au milieu de la pièce. Ils se dévorèrent un instant du regard, mais Kulilaahn s'écarta, disparaissant dans la petite pièce adjacente. Lorsqu'il revint, un objet tomba dans les mains de Siànan et celui-ci leva un regard étonné vers son maître.


    « Nous ne pouvons plus nous permettre de jouer avec des à peu près. Ca se rapproche, Siànan. »
    Le valet hocha la tête, rangeant précieusement l'objet dans sa poche.


    « Je veux que tu restes caché, Siànan. Nous avons encore quelques minutes, et je dois aller voir Ashes. Il faut absolument que Wïane disparaisse cette fois, avant qu'elle n'emporte tout avec elle. »
    Le regard de son souverain était magnétique, irrésistiblement attirant. Siànan hocha la tête, se noyant littéralement dans les yeux de Kulilaahn. Soudain, une immense explosion ébranla le quartier général, faisant trembler les murs.


    « Déjà ? Demanda le valet. »
    Le maître hocha la tête. Il pensait avoir encore quelques minutes.
    « Black est là, murmura Combustor en serrant leurs mains liées, je compte sur toi, Siànan. »
    Il déposa un baiser sur les lèvres vermeilles, et regarda l'autre homme disparaître derrière la porte.
    A son tour, il noua son foulard, serra son fourreau contre sa taille, y glissa son épée, et sortit dans la bataille.

     


    « Que le jeu commence, Black Anderson. »

     

    Chapitre 30
    FIN DU CHAPITRE 30

     


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique