• Mercredi 20 décembre


     

    Mercredi 20 décembre

    Mercredi 20 décembre



     
     

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    Mercredi 20 décembre
    05h00.
     
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    Mercredi 20 décembre.ujourd'hui, j'ai vu l'Hydre. Je suis entré dans les appartements que j'ai appris à craindre de tout mon corps, j'ai poussé la porte la plus lourde du château et bravé le claquement de mes os. Je suis entré en silence, à pas feutrés, comme si je craignais de tirer de son sommeil le tyran évanoui entre les draps pourpres. Wïane me suivait et je lui ai demandé de me laisser seul, seul avec l'homme qui a ruiné ma vie, seul avec le seigneur de feu, seul avec l'Hydre meurtrière. Seul avec mon grand-père. Elle a froncé les sourcils mais a obéi.
     
    Que croit-elle ? Que je tomberais aussi bas que Kaën, que j'empoignerais une dague pour la planter dans la chair tiède de cet être que je hais de toute mon âme ? Quelle peur idiote. Mes mains ne peuvent pas tuer Fuxan. La Cour me destituerait et le royaume retomberait dans les serres de ses adeptes. Mon seul espoir contre l'Hydre n'est pas la mort mais le temps. Mon espoir est le Plan.
     
    La porte s'est refermée derrière Wïane. Je suis resté statufié de longs instants sur ce seuil étrange avant de retrouver le contrôle de mes jambes. Les lourds rideaux aux fenêtres étaient tirés. Dans cette pièce, on ne fait plus la différence entre le jour et la nuit. Le temps aussi est pétrifié, perdu dans un instant comateux. Lorsque je me suis avancé, mes pieds s'enfonçaient dans les tapis épais sur le plancher. La silhouette alitée m'écrasait. J'avais l'impression d'appréhender un animal sauvage, une bête féroce soudain mise en cage, un prédateur anesthésié. Pour la première fois, je n'avais pas l'impression d'être traqué.
     
    J'ai tiré une chaise à ses côtés. Je me sentais étranger à ma propre lignée, à ma propre histoire, mon propre sang. Je ne reconnaissais pas l'homme étendu sous les draps. Pour moi, Fuxan était avant tout une voix, un éclat de colère, un feu brûlant, un regard déçu, une longue cape brodée à l'image des serpents. Fuxan n'avait jamais été un visage. Jamais vraiment.
     
    Je n'avais jamais remarqué qu'une cicatrice rosée tombait sous le lobe de son oreille et dégoulinait jusque dans son cou. Je me demande qui a pu être si proche de décapiter l'Hydre ainsi. Que s'est-il vraiment passé ? Pourquoi ce séditieux a-t-il échoué ?
     
    Son visage me hante. J'ai hérité de la plupart de ses traits. Nos visages se ressemblent. Nos yeux sont d'une même clarté étonnante. Dieux que je hais ces ressemblances.
     
    Entre les draps, les paupières closes et le visage détendu, le tyran m'a semblé... humain. Juste un homme. Rien qu'un homme égaré dans le coma, marqué par le sang et une colère qui n'a duré que trop longtemps. Pas une Hydre, pas un roi, pas un tyran, juste un homme. Vulnérable et oscillant aux portes de la mort. Juste un homme, juste un blessé.
     
    Cette vision m'a coupé le souffle. Le monde s'est renversé. J'ai oublié ma haine l'espace d'un instant.
     
    Je crois que je l'ai perdue pour de bon. Ma colère n'est plus un feu brûlant. Mon ressentiment est amer, latent. Je me sens désolé pour cet homme que l'amour n'a jamais guidé, pour ce père à qui on a arraché un enfant et qui n'a jamais pu réapprendre à vivre, jamais vraiment. En contemplant ce visage qui m'a tant blessé, ce visage qui m'a forgé comme sa marionnette de parfait guerrier, de parfait stratège, de parfait tyran, la haine a renoncé à serrer mes dents. Peut-être Fuxan aurait-il pu être différent, dans un autre monde, un autre univers où je n'existerais pas pour m'assoir à contempler sa silhouette depuis cette chaise de bois.  
     
    Il est mon sang. J'aurais beau le renier, le dénier, me cacher, je suis son descendant. Je refuse de devenir son héritier, cependant.
     
    Je suis resté à ses côtés, vissé droit sur le fauteuil gémissant, pendant une heure complète. Je n'ai pas bougé, je ne l'ai pas touché, je me suis contenté de fixer les traits de cet être mercurien comme s'ils détenaient les réponses à toutes mes interrogations. Je l'ai dévisagé sans retour dans l'espoir que le temps le fige dans cet instant de non-existence. Ni mort, ni vivant, simplement impuissant. Je suis entré avec lui dans cet autre-monde de l'absence.
     
    Lorsque je suis ressorti, ma haine s'était fanée, flétrie. Elle est tombée sur elle-même comme une fleur épuisée par le vent. Je n'ai pas pardonné. Je ne sais pas si je le pourrais un jour. Mais je crois qu'aujourd'hui, j'ai cessé de le haïr. Je réserve ma foudre aux orages à venir. Fuxan n'est qu'un homme. Il ne mérite pas l'énergie du désespoir que je lui consacre depuis trop longtemps. Il ne mérite pas les vingt ans de ma vie drainés à le détester. Il mériterait d'être oublié, effacé comme ces peuples qu'il condamne aux flammes depuis des années.
     
    Je ne serai ni son juge, ni son bourreau.
     
    Que l'Hydre tombe. Fuxan peut rester éternellement dans ces draps de soie. Lorsqu'il se réveillera, il sera déjà l'heure d'abandonner ses lois.
     
    Je ne suis plus esclave de ma fureur, entravé par le souvenir de son tonnerre.
     
    Je renonce à la colère.
     

     


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